Imaginez un monde où votre jardinière de balcon pourrait vous bouffer tout cru. Flippant, non ? C’est pourtant le quotidien des personnages de Wild Strawberry, manga dystopique qui nous plonge dans un Tokyo où les plantes ont décidé que l’homme ferait un excellent engrais. Accrochez-vous à vos sécateurs, ça va saigner vert.

Tokyo végétal : bienvenue dans l’enfer chlorophyllien
Dans Wild Strawberry, le mangaka Ire Yonemoto nous présente un monde où la nature a repris ses droits de façon particulièrement agressive. Exit les gentilles plantes d’appartement et les inoffensifs jardins urbains – place aux Jinka, ces végétaux mutants qui se nourrissent d’êtres humains. Un pitch qui rappelle vaguement « La Petite Boutique des Horreurs » mais en version apocalyptique et sans la comédie musicale. Tokyo est devenue une jungle urbaine au sens propre, où chaque coin de rue peut cacher une plante carnivore en furie prête à vous transformer en compost.
Les personnages principaux, Kingo et Kayano, tentent de surviver dans ce jardin des supplices. Leur quotidien est rythmé par la recherche de nourriture, d’abri et surtout, par l’évitement des Jinka. Mais voilà que Kayano se transforme elle-même en l’une de ces créatures végétales. Et Kingo, fidèle à ses sentiments, se lance dans une quête désespérée pour la sauver. (Franchement, y a des moments où faut savoir lâcher l’affaire, mec.)
L’univers mis en place par Yonemoto est d’une cohérence glaçante. Les plantes n’ont pas simplement évolué pour manger des humains – elles ont développé des stratégies complexes, des apparences trompeuses et une hiérarchie qui fait froid dans le dos. L’auteur s’est visiblement documenté sur la botanique réelle pour créer des monstres crédibles mais cauchemardesques. Wild Strawberry nous présente ainsi une écologie alternative où l’homme a chuté de son piédestal de prédateur suprême. Et franchement, ça fait réfléchir sur notre rapport à la nature, non ?
Body horror in bloom : la métamorphose à la sauce végétale
Si vous êtes sensible, passez votre chemin. Wild Strawberry ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit de représenter la fusion homme-plante. Les métamorphoses sont graphiques, viscérales et d’un réalisme perturbant. On est loin du gentil cosplay de Poison Ivy – ici, la transformation est douloureuse, irréversible et fondamentalement terrifiante.

La métamorphose de Kayano est particulièrement bien rendue par les traits précis de Yonemoto. Page après page, on assiste à l’invasion progressive de son corps par des vrilles végétales, des bourgeons qui percent sa peau, des feuilles qui remplacent ses cheveux. Le body horror est parfaitement maîtrisé, jouant sur notre peur viscérale de perdre le contrôle de notre enveloppe corporelle. (J’avoue, certaines planches m’ont fait regretter mon dernier repas.)
C’est d’ailleurs cette dimension « transformation » qui place Wild Strawberry dans une lignée de mangas d’horreur japonais bien établie, de « Parasyte » à certains travaux de Junji Ito. L’horreur ne vient pas tant des monstres extérieurs que de la perte d’humanité, du corps qui nous trahit. Et dans un monde obsédé par le contrôle, quoi de plus terrifiant que de voir son propre corps devenir autre ?

Social Darwinisme et fraises sauvages
Au-delà de l’horreur physique, Wild Strawberry propose une réflexion sociale qui ne manque pas de piquant. Dans ce Tokyo post-apocalyptique, la société s’est rapidement réorganisée selon des principes darwiniens brutaux. Les plus forts, les plus rapides, les plus impitoyables survivent. Les autres finissent en engrais.
Le manga n’hésite pas à montrer comment certains humains exploitent la situation, formant des hiérarchies oppressives, sacrifiant les faibles au nom de la survie collective. Ouch, ça ressemble bizarrement à certaines dynamiques de notre monde actuel, non ? Yonemoto utilise habilement le prisme de la dystopie pour critiquer les dérives de nos sociétés, où les « inutiles » sont souvent abandonnés en périphérie.
C’est peut-être là que réside la plus grande faiblesse de l’œuvre – dans un monde sans lueur d’espoir, pourquoi continuer à tourner les pages ? À moins que Yonemoto ne cherche précisément à nous mettre face à cette question existentielle…
entre violence gratuite et profondeur narrative
Wild Strawberry se retrouve à la croisée des chemins entre deux traditions du manga dark fantasy : celle, noble, des œuvres comme Berserk qui utilisent la violence comme véhicule narratif profond, et celle, plus superficielle, des séries qui misent sur le gore pour le choc visuel. D’après certains critiques, le manga aurait tendance à pencher vers la seconde catégorie.
La violence y est omniprésente, parfois explicite jusqu’à la nausée. Des humains dévorés vivants par des plantes carnivores, des corps démembrés par des lianes, des métamorphoses douloureuses détaillées sur plusieurs pages… Le dessin précis de Yonemoto ne nous épargne rien. Mais cette violence sert-elle vraiment le propos, ou est-elle là pour masquer des faiblesses scénaristiques ? La question mérite d’être posée.

Ce qui sauve peut-être Wild Strawberry de tomber dans le piège de « l’edge pour l’edge », c’est la qualité de son worldbuilding. Le système biologique des Jinka, la façon dont la société s’est transformée, les réponses scientifiques (comme les vaccins mentionnés) face à cette catastrophe… Tout cela témoigne d’une réflexion poussée de l’auteur. Le manga oscille ainsi entre moments de pur spectacle horrifique et séquences plus contemplatives qui interrogent notre rapport à la nature et à la survie.
L’esthétique du désespoir : un trait qui déchire
Parlons technique, parce que bordel, le style graphique de Yonemoto mérite qu’on s’y attarde. Wild Strawberry propose un dessin détaillé, précis, qui n’hésite pas à jouer sur les contrastes entre ombre et lumière. Les plantes monstrueuses sont rendues avec un souci du détail botanique impressionnant, créant un sentiment d’uncanny valley végétal particulièrement dérangeant.
Les environnements urbains envahis par la végétation hostile sont magnifiquement réalisés. On ressent presque l’humidité moite, l’odeur de décomposition et de chlorophylle qui doit régner dans ce Tokyo alternatif. Chaque planche est un petit chef-d’œuvre d’équilibre entre beauté et horreur, entre précision scientifique et cauchemar organique.
Les expressions des personnages sont particulièrement travaillées, capturant toute la gamme des émotions humaines face à l’impensable : terreur, désespoir, résignation, mais aussi détermination et, parfois, une forme d’acceptation presque mystique de leur sort. Dans un manga où l’humanité est en voie d’extinction, Yonemoto parvient paradoxalement à capturer ce qui fait notre humanité : notre capacité à ressentir, à nous accrocher et à chercher un sens même dans le chaos le plus total.
Wild Strawberry est une balade hallucinée dans un jardin des supplices moderne, une œuvre qui vous fera regarder votre plante d’appartement avec suspicion et qui, malgré ses excès, pose des questions pertinentes sur notre place dans l’écosystème terrestre.
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