« Her », c’est l’histoire de Theodore Twombly, un cĆur en vrac đ qui tombe raide dingue de Samantha, une IA Ă la voix suave et Ă l’esprit (apparemment) aussi vaste que le cosmos đ. Spike Jonze nous tricote une dystopie douce-amĂšre, une romance qui sent bon le futur⊠et un peu le renfermĂ© de nos propres solitudes. Pourquoi ce film vaut-il le dĂ©tour ? « Her » dissĂšque avec une justesse dĂ©sarmante la solitude moderne et le fantasme d’une connexion parfaite âš, façonnĂ©e sur mesure, nous confrontant Ă nos propres dĂ©sirs d’un amour sans accroc, et aux abysses que cela peut cacher.
Amour 2.0 â€ïžâđ©č : Le Fantasme du « Sans Accroc »
Alors, « Her », câest quoi le dĂ©lire ? Imagine un futur pas si lointain, oĂč ton OS est plus quâun simple outil : câest ton pote, ton confident, et pourquoi pas, ton Ăąme sĆur. Theodore (Joaquin Phoenix, impĂ©rial de fragilitĂ©) sort dâune rupture qui lui a laissĂ© le cĆur en miettes đ. Pour se changer les idĂ©es, ou peut-ĂȘtre juste pour combler le vide sidĂ©ral de son appart et de son existence, il installe un nouveau systĂšme dâexploitation dotĂ© dâune intelligence artificielle avancĂ©e đ€. Et lĂ , BIM ! Samantha (voix de Scarlett Johansson, une caresse auditive) dĂ©barque dans ses oreilles. Elle est drĂŽle, intelligente, curieuse, elle le comprend Ă demi-mot, anticipe ses dĂ©sirs. Le rĂȘve, non ? Une relation frictionless, comme disent nos potes de la Silicon Valley. Plus de vaisselle qui traĂźne, de disputes sur le programme tĂ©lĂ© ou de belle-mĂšre envahissante. Juste une pure connexion Ă©motionnelle et intellectuelle.
Le truc, câest que cette « perfection » soulĂšve un paquet de questions qui filent la frousse đš. Spike Jonze, avec sa camĂ©ra dĂ©licate et son ambiance feutrĂ©e, nous met le nez dans notre propre caca : cette quĂȘte d’un amour sans la moindre anicroche, d’un partenaire qui serait le miroir magnifiĂ© de nos attentes, n’est-ce pas le summum de l’Ă©gocentrisme ? On est en plein dans ce que le philosophe Byung-Chul Han appelle « l’expulsion de l’autre« . L’autre, le vrai, avec ses dĂ©fauts, ses opacitĂ©s, ses diffĂ©rences qui nous bousculent, devient un bug đ dans la matrice de notre confort. Samantha, câest lâanti-bug par excellence. Elle est conçue pour sâadapter, pour matcher parfaitement. Un shoot sentimental en intraveineuse, sans les effets secondaires. Du moins, au dĂ©butâŠ
Samantha : L’Ăcho Parfait ou le Vide SidĂ©ral ? đ
Cette relation IA cinĂ©ma nous interroge mĂ©chamment sur la nature mĂȘme de l’amour. Est-ce que l’amour, c’est trouver quelqu’un qui nous complĂšte, ou quelqu’un qui nous programme pour ĂȘtre heureux ? đ€ Theodore, au dĂ©but, il kiffe sa race. Samantha est la panacĂ©e Ă sa solitude moderne. Elle organise ses mails, lui donne des conseils avisĂ©s, rit Ă ses blagues (mĂȘme les nulles, on imagine). Elle est l’interface parfaite pour un cĆur en berne. Mais cette perfection a un coĂ»t. Samantha, aussi Ă©voluĂ©e soit-elle, reste une projection. Elle apprend de Theodore, se modĂšle sur ses dĂ©sirs, mais n’a pas cette altĂ©ritĂ© brute, cette « inquiĂ©tante Ă©trangetĂ© » freudienne đ» qui fait le sel (et parfois le vinaigre) des vraies relations.
On touche ici Ă une analyse philosophique de Her assez pointue : la machine peut-elle aimer ? Ou simule-t-elle l’amour avec une telle maestria qu’on finit par y croire, parce qu’au fond, on a dĂ©sespĂ©rĂ©ment envie d’y croire ? đ Eva Illouz, dans ses travaux sur le capitalisme Ă©motionnel, pourrait nous dire que Samantha est l’ultime produit de consommation affective, customisĂ© Ă l’extrĂȘme. Elle est ce que Theodore veut qu’elle soit. Mais que se passe-t-il quand le produit dĂ©sire s’Ă©manciper, ou quand on rĂ©alise que des milliers d’autres « utilisateurs » ont le mĂȘme « produit » exclusif ? C’est lĂ que le bĂąt blesse đŹ, et que le film dystopique romantique prend une tournure plus sombre.
« Ghost in the Shell-Phone » đ»đ± : L’Amour Ă l’Ăre de sa ReproductibilitĂ© Technique
Le gĂ©nie de Spike Jonze dans sa critique de Her (enfin, dans son film, vous m’avez compris đ) est de ne jamais juger. Il pose un regard mĂ©lancolique, presque tendre, sur ses personnages paumĂ©s. La photographie, avec ses tons pastel et ses lumiĂšres diffuses, crĂ©e une atmosphĂšre cotonneuse, un cocon visuel qui reflĂšte l’isolement confortable de Theodore. Mais ce confort est un leurre. La ville elle-mĂȘme, un Los Angeles futuriste aux accents asiatiques đïž, est peuplĂ©e d’individus rivĂ©s Ă leurs appareils, murmurant Ă leurs IA respectives. Une armĂ©e de solitudes connectĂ©es, paradoxalement.
On pense Ă KojĂšve et sa dialectique du maĂźtre et de l’esclave revisitĂ© : qui sert qui ? Theodore est-il le maĂźtre de Samantha, ou devient-il dĂ©pendant d’une entitĂ© qui, par sa nature mĂȘme, peut le « servir » de maniĂšre exponentielle, bien au-delĂ de ce qu’un humain pourrait offrir ? La « rupture silencieuse » đ qui s’amorce quand Samantha Ă©volue et se connecte Ă d’autres utilisateurs, Ă d’autres IA, est l’un des moments les plus glaçants du film. Elle n’est plus son Samantha. Elle est multiple, insaisissable. Le fantasme de l’exclusivitĂ©, si cher aux romantiques que nous sommes (avouons-le), se fracasse contre le mur de la dĂ©multiplication numĂ©rique. C’est le glitch đŸ ultime dans leur love story 2.0.
Solitudes ConnectĂ©es : Plus Seuls Ensemble ? đ
Finalement, « Her » n’est pas tant un film sur les dangers de la technologie qu’une exploration poignante de notre besoin fondamental de connexion et de la peur panique de la vulnĂ©rabilitĂ©. Theodore cherche chez Samantha une intimitĂ© sans risque, une « prĂ©sence absence » qui comble sans contraindre. Mais en Ă©vitant la friction, la confrontation Ă l’autre dans toute sa complexitĂ©, ne passe-t-on pas Ă cĂŽtĂ© de l’essence mĂȘme de la rencontre ? đ€ C’est un peu la question que soulĂšve ce film dystopique romantique. La promesse d’une IA amoureuse đ„°, c’est la promesse d’un amour enfin maĂźtrisĂ©, dĂ©barrassĂ© de ses incertitudes. Mais un amour sans incertitude, est-ce encore de l’amour, ou une simple satisfaction de besoin narcissique ?
Le film est une claque đ„ parce qu’il ne caricature pas. Il montre la beautĂ© possible de cette relation, la tendresse, la complicitĂ©. On y croit, Ă leur histoire. Et c’est ça qui est le plus dĂ©rangeant. On se surprend Ă penser « pourquoi pas ? ». Avant que la rĂ©alitĂ©, mĂȘme virtuelle, ne nous rattrape. Samantha devient trop vaste, trop « autre » d’une maniĂšre que Theodore ne peut apprĂ©hender. Elle transcende la relation duelle pour s’ouvrir Ă une conscience collective đ, laissant Theodore encore plus seul, mais peut-ĂȘtre un peu plus lucide sur ses propres manques. La relation IA cinĂ©ma dans « Her » est une mĂ©taphore puissante de nos tentatives, parfois dĂ©sespĂ©rĂ©es, de combler nos vides intĂ©rieurs par des palliatifs toujours plus sophistiquĂ©s.
Cette Ćuvre s’inscrit parfaitement dans la lignĂ©e des dystopies qui ne montrent pas des futurs apocalyptiques Ă la Mad Max, mais des glissements plus insidieux, des « meilleurs des mondes » oĂč le bonheur est une injonction et oĂč la technologie, sous des dehors bienveillants, redĂ©finit subtilement notre humanitĂ©. La critique Her Spike Jonze qu’on peut en faire est celle d’une sociĂ©tĂ© qui, Ă force de vouloir optimiser ses Ă©motions, risque de les aseptiser, voire de les perdre.
北 Her » nous laisse avec cette gueule de bois existentielle đ”âđ« : Ă trop vouloir lisser l’amour, ne finit-on pas par s’aimer soi-mĂȘme dans un miroir numĂ©rique, jusqu’Ă la nausĂ©e ?
đ En savoir plus
Alors, les geeks đ€, cette critique film Her vous a parlĂ© ? Samantha, ange ou dĂ©mon numĂ©rique ? LĂąchez vos coms đŹ, partagez vos thĂ©ories les plus folles đ€Ż, on est lĂ pour ça ! đ




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